ANECDOTES ARTISTIQUES #7

« FRANÇOISE AU BANDEAU » - Dessin de P. Picasso

MOSCOU - PARIS
Dans les années 70, suite au « dégel » temporaire chez nos amis et voisins soviétiques, je me trouve aux Beaux-Arts de Moscou, envoyée avec un groupe de huit camarades de mon école pour un échange amical d’étudiants.

“Classe de peinture de l’école (des Beaux-Arts) de Moscou”. Peinture, vers 1835, de Nikolaï Ivanovitch Podklutchnikoff (1813–1877).

“Classe de peinture de l’école (des Beaux-Arts) de Moscou”.
Peinture, vers 1835, de Nikolaï Ivanovitch Podklutchnikoff (1813–1877).

 

Cet échange n’a eu lieu que dans un sens, les différences entre nos programmes étaient vertigineux et ont échappé aux censeurs. Aux Beaux Arts à Lodz, les études commencent par l’analyse des œuvres de Malevitch, Lissitzky, Kandinsky, Arp, Kobro, Strzeminsky (voir le dernier film d’Andrzej Wajda) bref, l’art abstrait, l’abstraction géométrique, l’art cinétique, ensuite l’art conceptuel de cette époque.

A l’Académie de Moscou le « soc-réalisme » fut la seule direction artistique autorisée. Nous l’appelons entre nous « une exotique abomination » dans un pays qui a vu naître au début du siècle des avancements majeurs dans le domaine de l’art.

Les autorités réalisent rapidement leur erreur. Dans les ateliers, l’intérêt pour nos propos augmentent et perturbent sérieusement l’ordre. Après quelques jours, une visite de la ville, nous repartons.

Nous repartons avec nos valises remplies de livres d’art.

A cette époque, la Russie soviétique imprime des livres sans régler les droits d’auteur. Et on y découvre des merveilles introuvables en Pologne.

Le livre « GRAFIKA PICASSO » acheté à Moscou, m’accompagne jusqu’à aujourd’hui.

F.GILOT_PICASSO_B.EMBIRICOS.jpg
 

Ouvrant ce livre, suis interpellée par les six dessins groupés sur une page réalisés en septembre 1946. Ce sont des portraits de Françoise Gilot, jeune fille, dessinés au trait, avec tout un éventail de déformations et qui se terminent par le dernier dessin, limpide.

Bien plus tard, j’inclus ce dessin dans mes éditions d’objets destinés aux boutiques des musées, en le reproduisant sur un écran en verre bombé réalisé par un verrier parisien.

Quand je rencontre Françoise Gilot, si extraordinaire, elle me raconte cette séance de portraits.

Picasso et elle quittent Paris pour s’installer dans le midi.

Un jour, elle se blesse au front. L’infection se déclare. Il n’y a pas encore d'antibiotiques en France en 1946, aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui.

Picasso trouve de la pénicilline auprès de l'armée américaine ; mais personne ne connaît bien la posologie. 

Appliquée d’une manière hasardeuse, elle provoque une allergie et déforme le visage de la jeune fille bien plus que n’aurait fait son amoureux dans ses œuvres!

La série s’appelle « Françoise au bandeau » ; « le bandeau » est en réalité un bandage. Le dernier dessin de la série, selon Françoise fut réalisé APRÈS le traitement à la pénicilline.

En 2009, lors d’un diner organisé à l’occasion de l’exposition au Grand Palais à Paris, « Picasso et les femmes « sur toutes les tables, la lumière vient de derrière les écrans en verre, avec le portrait de Françoise Gilot qui figure dessus. Elle même assiste au diner.

A cette époque son atelier est à NY, elle peint des tableaux de très grands formats ; une peinture forte en couleurs qui me semble parfois avoir un lien avec nos recherches des années 70. Elle possède une dextérité de dessin incroyable de justesse et de légèreté.

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Nous nous découvrons un point en commun : nous aimons lire l’avenir dans les cartes.

Basia Embiricos

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