ANECDOTES ARTISTIQUES #5

GUY PEELLAERT
PRAVDA, ROCK’S DREAMS, BIG ROOM, LES RÊVES DU XX SIÈCLE.

Etudiante à l’Ecole des Beaux Arts à LODZ, je travaille dès que mon emploi du temps me le permet comme assistante d’un scénographe pour les films.

Mon mentor est Ryszard Potocki.

Au moment des vacances d’hiver, nous partons faire un film selon le scenario de Wieslaw Dymny avec Henryk Kluba comme metteur en scène. L’équipe s’installe dans un manoir transformé en caserne au bord d’un lac.

A cette époque, le film « Easy Rider » concentre tous nos rêves et fantasmes. Nous ne pouvons pas voyager, nous n’avons pas de passeports, ni d’échange bancaire possible.

Je suis chargée de la préparation des motos pour ce « road movie » à la manière de la Pologne communiste. Les motos disponibles, sont de fabrication tchèque, pas du tout « glamour » et très éloignées des Harley Davidson rutilantes.

Un ami m’offre un livre : « PRAVDA » de Guy Peellaert. J’ignore qui est Françoise Hardy, mais je trouve cette bande dessinée psychédélique fascinante et m’en inspire.

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Le tournage dure plusieurs semaines. Le film aussitôt terminé, est immédiatement interdit de diffusion par la censure. Je n’ai pu le voir que des dizaines d’années plus tard au Centre Pompidou à l’occasion d’un Festival du Cinéma Polonais. 

Le temps passe.

Suite à la série des hasards favorables, je m’installe à Paris. Je vis dans un immeuble moderne à Montparnasse, rue du Cdt Mouchotte et illustre des livres pour enfants.

Un jour, en revenant avec les achats d’une bonne ménagère, j’entre dans le hall de notre escalier « E » et j’attends l’ascenseur pour arriver au 15ème étage. D’un coup d’œil distrait, vois le nom sur la porte à droite de l’ascenseur : « GUY PEELLAERT» !

Sans réfléchir, je sonne. Un grand monsieur, ouvre, les lunettes au bout du nez. « OUIIIIII ? » Là, je me sens vraiment bête. Je bafouille « Pravda, c’est bien vous ? »

Nous parlons, nous devenons très vite amis. Guy Peellaert travaille à ce moment sur un nouveau livre « The Big Room » qui parle des légendes de Las Vegas. A cette époque il utilise les pastels avec un aérographe, reproduit les images documentaires à l’aide d’un antique épidiascope.

Il surprend par la précision des détails historiques de ses images…son atelier croule sous des documents. Réalise des livres, des affiches, des images pertinentes des Rolling Stones, toute la mythologie de cette époque y défile…les créateurs de mode, les chanteurs, les hommes politiques, toujours dans un décor et un contexte parfaitement bien observés et magnifiquement documentés.

Son livre le plus connu est le « Rock’s Dreams » réalisé dans les années 70 et les « Chroniques d’un Siècle » : une brillante fresque qu’il expose à la Maison Européenne de la Photographie à Paris.

Guy Peellaert. Hara Toro (Fulgencio Batista, Fidel Castro, Ernest Hemingway, Ernesto Che Guevara, Ava Gardner)

Guy Peellaert. Hara Toro (Fulgencio Batista, Fidel Castro, Ernest Hemingway, Ernesto Che Guevara, Ava Gardner)

 

La même année, une amie sculpteur, Nisa Chevenement, me fait part de ses soucis à propos de son mari, qui opéré, reste dans le coma avec de faibles perspectives d’avenir.

D’un avion, en voyage, j’envoie une carte d’encouragements. Miracle, ou la puissance de l’énergie, son mari revient à la vie. Dès mon retour, je reçois un appel de la personne chargée de la communication du Ministère pour rencontrer Monsieur le Ministre.

Jean Pierre Chevènement, bien remis de ses soucis de santé, souhaite créer une carte de vœux de l’an 2000 qui pourrait illustrer le propos du livre qu’il vient d’écrire. Sur la suggestion de sa femme, il a déjà passé tout un week-end avec le livre de Guy Peellaert entre les mains.

J’arrive Place Beauvau, tôt le matin. Je suis attendue. Monsieur le Ministre est pressé et me demande de prendre des notes : 

« Voilà ce que je souhaite faire figurer sur ma carte des vœux. Notez svp. 

- Charles de Gaulle serre dans les bras Vivianne Romance
- Clemenceau écarte les bras et dit : « non passaran »
- Gambetta s’envole en ballon de Paris assiégé
- Napoléon prend Jeanne d’Arc par derrière (je croise le regard perdu de l'attachée de la communication)
- Et moi…Moi, je donne un coup de pied au c.. à tous les bien-pensants… »
- J’ose intervenir : « C’est qui les bien-pensants, Monsieur le Ministre » ?
- « Ah, tous les nouveaux philosophes etc.. Vous voyez ? ! »
- Pas vraiment.
- « Merci, Madame, au-revoir. »

Nous longeons un couloir avec son attachée la communication.

« Vous savez, il va certainement changer d’avis…cherchez plutôt des jeunes artistes du côté de Belfort… »

Je reçois une confirmation le soir même. Le Rdv est fixé avec l’artiste pour le lendemain matin, tôt.

Le rendez-vous a l’air d’enchanter tout le monde. Après quelques instants, Monsieur le Ministre disparaît, Guy « rit sous cape » ravi visiblement d’un projet aussi impertinent. Nous sommes déjà à la fin du mois d’octobre.

Guy Peellaert, réuni la documentation, hésite sur plusieurs modèles d’armure pour Jeanne d’Arc et cherche des images de Napoléon tout à sa tâche…Clemenceau, de Gaulle et Gambetta les documents sont nombreux, mais Viviane Romance dans les bras de de Gaulle ? Il lui ajoute quelques avantages : un décolleté vertigineux.

Il construit la silhouette de Monsieur le Ministre sur la base de celle d’un footballeur, habillé d’un costume de ville stricte. J’observe toutes les phases de la réalisation complexe et minutieuse que l’invention de Photoshop, qui n’existe pas encore à cette époque, rendrait bien plus facile. 

La carte est imprimée in extremis, envoyée en nombre d’exemplaire important et fait comme nous le disons aujourd’hui « LE BUZZ » énorme.

Les significations des images sont discutées, devinées, créent des réactions passionnelles ! La presse suit le mouvement.

A la soirée des vœux du Ministre de l'intérieur à la Gendarmerie Nationale, l’agrandissement de la carte encadrée, trône sur un chevalet.

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J’aperçois une jeune femme timide, peu assortie à l’assemblée des gendarmes et militaires.

Elle est la petite fille de Vivianne Romance, une actrice du cinéma muet, dont Monsieur le Ministre fut éperdument amoureux adolescent. La présence de sa petite fille surprend. Elle ajoute : « ma grand mère a toujours dû utiliser des artifices pour remplir ses décoltés…là, elle serait très contente ! »

Le musée d’Art et d’Histoire de Belfort organise une grande exposition de Guy Peellaert qui offre un tirage original pour les collections du musée.

Guy voyageait peu. Il a toujours eu trop de choses à faire dans son atelier. Et fut toujours en retard avec tous les délais. J’organise une autre exposition à Atlas Sztuki à Lodz dans la ville où j’avais fait la découverte de son travail. 

A l’aéroport nous voyons que son passeport est périmé depuis quelques années. Avec un certain sens de persuasion, nous partons quand même.

L’exposition à Lodz a eu beaucoup de succès, un catalogue est édité, et Guy Peelaert semble très heureux de discuter avec des critiques et le public passionné.

Ce fut sa dernière exposition. Il nous quitte en 2008.

Basia Embiricos

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