ANECDOTES ARTISTIQUES #10
DAVID LATTÈS
« Vous avez retravaillé vos photos, » dira-t-on au photographe sur un ton quelque peu inquisiteur. Comment faire autrement si l’on veut partager la force d’inspiration qu’une impression visuelle a engendrée en notre esprit ? La manière dont David a ainsi traité les algues qui dessinent des volutes sur un étang, les falaises ocre qui s’élèvent majestueusement vers l’azur ciel immaculé du Ladakh, le mariage entre les nuages et la mer sur une image pointilliste… tout cela fait partie du travail attentif et passionné du photographe. À quoi bon partager une image qui n’est qu’un pâle reflet de ce que l’on a ressenti ? »
Matthieu Ricard 2018.
Photographe et chef cuisinier, un temps reporteur pour Paris Match, adepte de la méditation vipaśyanā, et un grand marcheur jusqu’aux horizons du Tibet, des montagnes, des falaises.
Une constante quête de sens.
David réalisait ses tirages sur des bâches de grands formats. Il les accrochait sur les murs, dans les arbres, créait des abris pour les « home-less » urbains.
Le sens de la compassion.
J’ai appris tardivement qu’il souhaitait me proposer de faire une exposition à l’intérieur et surtout à l’extérieur de la galerie. Qu’il rêvait d’être exposé à Arles. Il a disparu brutalement un de ces jours-là.
Ses photographies imprimées sur des bâches se composaient souvent de plusieurs images. Ordonnées dans une suite comme si on marchait avec le paysage qui évolue doucement devant les yeux.
Le Tibet était son lieu de prédilection. J’ai décidé de faire une exposition (septembre 2018) et surtout d'emmener ses bâches à Arles. Entreprise épique ; suis partie en TGV, le gros rouleau encombrant sous le bras, sans aucune préparation. Elise, son amie, m’a raconté que cette action ressemblait aux siennes. Le plus souvent, improvisées.
À Arles, Julia de Berre m’a proposé l’espace derrière sa galerie, et Vera Michalski avait une idée d’accrochage sur le mur à l’entrée de la Foire des Livres de la Photographie. Tout à côté il y avait un centre médical d’urgence et l’accrochage a pu être fait avec l’aide de deux infirmiers en attente d’un appel.
Le sujet de la photo qui s’étendait sur plus de 8 mètres, était justement l'étale d'un bouquiniste sur un trottoir dans une rue de New-Delhi. Les livres: né, dans une famille d’éditeurs, il a grandi avec.
La bâche est restée là, symboliquement, comme un hommage à «la chose écrite» et en mémoire d’un photographe à un destin éphémère, comme toute chose, par ailleurs.
Je garde un souvenir de ces quelques jours passés à Arles comme une parenthèse ensoleillée.
«L’œuvre de David Lattès nous ramène au cœur de la photographie : voir, être saisi par la vision d’un paysage, d’un visage ou d’une situation et la transcréer pour offrir au regard d’autrui l’image intérieure qui s’est développée dans la chambre noire — mieux encore la « chambre lumineuse » — de notre expérience vécue.»
Matthieu Ricard, parfois, son partenaire de marche.