ANECDOTES ARTISTIQUES #3

SOUHED NEMLAGHI
Le Pain Couture par Jean Paul Gaultier.

À l’occasion d’une foire du design à Londres, je rencontre un jeune architecte tunisien, sortant de St. Martins School, Souhed Nemlaghi. Nous avons réalisé plusieurs expositions ensemble et il m’a toujours épaté par son audace, intelligence et l’achèvement impeccable de ses projets.

A Londres, il expose un « red cube » un fauteuil rouge transparent, œuvre de son collectif. Je propose cet objet à la Boutique du Design, du Centre Pompidou, où il trouve des amateurs.

 
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Souvent à Paris, il me fait visiter un appartement qu’il vient de terminer. Une commande d’un collectionneur. L’espace est minimal, immatériel : tout blanc, du sol au plafond, jusqu’à la terrasse avec l’absence quasi totale de meubles.

Le centre du lieu est occupé par un îlot qui débute comme une table, creusée au centre d’un bassin où nagent des poisons rouges… Et se termine dans la même ligne par la cuisine toute équipée, avec fours, réfrigérateurs, etc. intégrés. Le lit est placé sur une estrade, à la même hauteur que la baignoire, les lavabos arrivent à la taille.

Rien n’est visible, même les poignées des armoires.

Cet espace a été très photographié…entre autres pour les réclames du Bon Marché. (2002)

L’appartement qu’il réalise ensuite (toujours une commande) est tout en cuir, y compris les revêtements des douches et de la cuisine avec la même absence de meubles. Dans le salon, une estrade toujours en cuir, recouverte d’une fourrure « fait salon », et devient un lit pour la nuit. En absence de table, le dîner est servi sur les plateaux en zinc, que chacun pose où bon lui semble. Un petit poulailler décore une fenêtre avec de la paille et les deux poulettes naines. La réalisation suivante fut la maison de J.P. Gaultier.

Un jour, en 2003, nous nous retrouvons avec Souhed dans ses bureaux, avec Donald Potard, son directeur et complice. La discussion tourne autour d’une proposition de la Fondation Cartier pour fêter son 20ème anniversaire d’existence en 2004 par une exposition. Jean-Paul évoque Yvette Horner…Donald coupe : « pourquoi tu ne demandes pas à Souhed de trouver une idée » ?

Le rendez-vous est pris pour le lendemain.

Souhed, comme d’habitude arrive avec une seule feuille de papier blanc, une seule phrase imprimée au milieu en lettres rouges : « Changer une institution culturelle en boulangerie ». Toutes les personnes présentes le regardent ahuris. Après une explication, la décision tombe : « allez le proposer, mais vous allez vous faire jeter »….etc. ha. ha..

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Le rendez-vous de Souhed avec le directeur Hervé Chandez se passe bien. L’idée est acceptée. Les contrats signés. Nous avons un triomphe modeste, mais Souhed en artiste averti, insiste pour déposer son idée non seulement à Paris, mais « pour le monde », ce qui a un certain prix mais s’avère être une précaution importante. La production dure une année entière.

La galerie sent bon le pain pendant quelques mois, on élabore des structures, des sculptures, on étale en secret toutes les trouvailles de cuissons et de formes… La fameuse robe de Madonna avec de seins pointus est tout d’abord sculptée, ensuite, on réalise un moule pouvant supporter les hautes températures de cuisson.

 
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Il s’agit encore de trouver un four ancien qui permette d’enfourner ce genre de construction comme une brioche monumentale…Basil Kamir, fondateur des Moulins de La Vierge trouve une bonne solution….

Nous mobilisons toute une classe de St. Martin School, une classe des Beaux Arts de Paris nous suit, …les Moulins de Paris donnent les farines, les associations des boulangers participent et fournissent le matériel d’une vraie boulangerie. ….

Avec le temps, tout le monde s’approprie l’idée qui commence à sembler fascinante.

Sur la première page de garde du catalogue, on peut lire en grosses lettres : « sur l’idée originale de Souhed Nemlaghi ». Ceci va figurer également sur tout le document de la communication.

L’exposition a un succès considérable. Elle est prolongée de trois mois.

Au sous-sol de la fondation une vraie boulangerie est installée et fabrique quotidiennement des baguettes à rayures comme les emblématiques t/shirts de Jean Paul Gaultier.

 
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Les stores sont en baguettes de pain, les sculptures reprennent des modèles des robes et des accessoires les plus connues, les mannequins portent des pains dans des paniers en osier fixés sur leurs dos, habillées de robes magnifiques.

Ce fut vivant, drôle, essentiel, et tous publics.
Basia Embiricos

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