ANECDOTES ARTISTIQUES #13

EDOUARD DERMIT : 
L’ANGE DE JEAN COCTEAU

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Ami, et puis fils adoptif de l’artiste, Edouard Dermit, appelé souvent « Doudou » a été son dernier compagnon et sa dernière famille.
Soldat, jardinier, peintre naïf, il a accompagné le poète de sa présence bienveillante jusqu’au la fin. Devient son légataire universel et se marie.
Il sera un merveilleux « gardien du temple » de la maison à Milly la Forêt, où rien de ce que la main de Jean Cocteau a disposé n’a bougé.

A cette époque, j’édite des objets pour les boutiques des musées et sollicite la licence de Jean Cocteau auprès de Madame Annie Guèdras, qui me conseille de rencontrer Edouard Dermit. 

Nous prenons rendez-vous.

Edouard m’attend à Milly La Foret sur la place. Très élégant, un foulard en soie autour du cou, il a une petite allure « niçoise » ou « monégasque ».

Nous allons déjeuner au restaurant d’un club de golf voisin après la visite de la Chapelle des Simples et de la maison de Cocteau.

Portrait de Jean Cocteau par Edouard Dermit.

Portrait de Jean Cocteau par Edouard Dermit.

 

L’entrée de la maison est magique ! Des palmiers en cuivre, grandeur nature, des murs en imprimé panthère, des papiers et des livres, des menus objets… un jardin « romantique », un peu en désordre derrière les fenêtres. 

A Paris, on me donne un « tuyau » : la femme d’Edouard, Eliane, adore les pâtes de fruits ! J’offre une boîte à une femme brune, calée dans un fauteuil « crapaud » devant la télévision en robe de chambre en velours bordeaux. 

Nous sortons avec Edouard. Le déjeuner est servi dehors, délicieux. Nous parlons de tout et de rien. La passion que je nourris depuis l’adolescence de lire l’avenir dans les cartes trouve un écho chez Edouard. Au dessert, il fait une démonstration avec un petit pendule en bois de poirier. A la fin du déjeuner me l’offre.

Nous nous revoyons assez souvent et partageons quelques verres de vodka quand il me rend visite. Essayons des tours de cartes. Il me me raconte son voyage autour du monde « en 40 jours » avec Jean Cocteau pour un magazine, leurs voyages en Grèce. 

Je viens à Milly couper des branches fleuries au printemps pour ma maison. 

Un peu plus tard, j’apprends qu’il est malade. Il meurt en 1997.

A la suite de cette rencontre, je fais fabriquer des objets, en papier, en soie ou en porcelaine, aussi bien pour les musées que pour des sociétés les plus diverses, des cadeaux destinés principalement à la presse.

Foulard en soie

Foulard en soie

 

A chaque nouvelle édition je me pose la question de la légitimité de ces reproductions. Transformer un dessin de Jean Cocteau en foulard, ou un relief en médaille en or ? Au risque de rendre l’œuvre originale, banale, « reproductive » ? 

Voici quelques réalisations de cette époque : 

La SEITA lance une nouvelle série de cigarettes avec des paquets en trois couleurs et trois tabacs différents. Je fais fabriquer des petits cendriers en porcelaine avec un dessin de profil d’un ange, dans les trois couleurs. 

On fume voluptueusement dans toutes les rédactions et les bureaux à cette époque.

Cendrier en porcelaine

Cendrier en porcelaine

 

WORLD GOLD COUNCIL, mon contrat : faire fabriquer un objet avec 1g d’or comme cadeau de fin de l’année destiné aux clients et aux journalistes (très gâtés à cette époque).

Je pose la question à Edouard, qui me promet de voir s’il peut trouver quelque chose d’inédit. Et il trouve « sous les affaires de ski des enfants » à l’étage, un médaillon en plâtre. C’est un profil en relief, avec des cheveux formés par des tiges de graminées… délicatement sculptés. Avec son aide et celle d’un sculpteur nous fabriquons un modèle réduit pour pouvoir réaliser une médaille d’une finesse extrême à porter autour du cou. Grand succès.

Pichet en verre

Pichet en verre

 

DAUM : Edouard me montre les trois dessins de pichets qui sont des têtes de femmes ; leurs coiffures forment des anses. Trois dessins colorés à l’aquarelle. Il se souvient d’avoir essayé de faire leurs formes en volume du vivant de Cocteau. Finalement, un sculpteur et Edouard, de concert s’attellent à la tâche de créer les trois pichets. Ils sont saisissants de présence. 

Je contacte DAUM qui se dit enthousiaste. Les trois prototypes apparaissent. Les couleurs dans le verre sont bien respectées. Ce sont des éditions numérotées. Toute la série a été vendue immédiatement à la Foire de Francfort.

J’en garde « un set » pendant assez longtemps dans mes réserves, qui un jour devient un cadeau d’un mariage. Je n’ai pas l’âme d'une collectionneuse.

Mon activité d’éditeur a pris fin en l’an 2000. La guerre du Golf et la mésentente qui a suivi entre les Etats Unis et la France arrête net mes exportations.

D’autre part, la Réunion des Musées Nationaux (notre distributeur en France) décide, afin d'obtenir des prix les plus bas, de transférer la majorité des fabrications en Chine. Les quantités exigées ont été trop importantes pour moi. Et comment s’assurer que les dessins pour lesquels j’avais une exclusivité ne seront pas reproduits à mon insu sur le lieu de leur fabrication ?

Adieu Cocteau ! Adieu Edouard Dermit ! 

À samedi prochain
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