“IN EDEN”
DE ALBERTO BERNARDONI

VERNISSAGE
JEUDI 27 OCTOBRE 18H-21H

Ouverture exceptionnelle de la galerie pour un brunch d’automne
DIMANCHE 30 OCTOBRE - 12h À 17h

EXPOSITION
DU 27 octobre AU 20 NOVEMBRE 2022

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Afrique, 1969-2000
Sur les traces d’Alberto Bernardoni

Homme jeune longeant, songeur, les rives du lac de Lugano, Alberto Bernardoni rêvait des espaces d’Afrique et de leur innombrable et fabuleux bestiaire. Ce qui devait arriver arriva : un jour, Alberto fit l’emplette d’une Land Rover qu’il modifia et muscla, de ci, de là, pour défier les aléas de ce continent, grand cœur battant entre l’Océan Indien et l’Atlantique.

Il mit la Land Rover à la poste, direction Dar Es Salam, où il vint la rejoindre. Commença alors une longue histoire de vingt-cinq ans et de quinze équipées, en solitaire le plus souvent, durant lesquelles, l’œil bien ouvert, il hanta savanes et déserts, armé de ses objectifs, équipé de ses boîtiers, chargé de rouleaux de pellicules noir et blanc, accompagné d’un tracker, assistant africain habilité à porter une arme.

Alberto apprit à approcher à portée de prise de vue deux sortes d’animaux : les difficiles et les dangereux.

Les difficiles étaient traditionnellement les antilopes, les girafes, les aigles des lacs, les flamants roses, les zèbres, les aigrettes, les gnous, les impalas, les chimpanzés… Toutes gracieuses espèces alertées, méfiantes, craintives, averties à repérer vite et de loin la menace du premier prédateur venu.

Les dangereux à approcher étaient les autres : l’éléphant, le rhinocéros, le lion.

On repérera, au fil des images, une vue intitulée « Tembo wall III, Marsabit-1988 » et une autre « Tembo wall II, Marsabit-1992 ». Tembo, en swahili, signifie : éléphant ; Wall, en anglais, signifie : mur. Un « Tembo Wall » est donc un mur d’éléphants. Chez les pachydermes, ce sont les filles, les matriarches, qui font la loi, particulièrement susceptibles lorsqu’il y a des éléphanteaux de l’année dans les familles. En cas de tentative d’approche ou d’intrusion suspecte, on forme un « Tembo Wall », un mur d’éléphants, où les bambins s’abritent sous les ventres et entre les pattes des adultes, un mur assez compact et puissant pour intimider des lions affamés ou disloquer une colonne de tour-operators. Sur le mur « Tembo Wall III,-1988 », l’on demeurera respectueux face à un grand mâle adulte et l’on évoquera ,dans la foulée, la mémoire du monumental Ahmed of Marsabit, trésor national vivant du Kenya, mort de vieillesse -et debout- en 1974, à l’âge de 58 ans.

Le rhinocéros blanc immortalisé en 1992 était membre d’une petite bande de pas commodes qui venait de se disperser, sauf lui, ce « White rhino », de mentalité ombrageuse, pesant plus lourd que la « Land », qui prit soin de bien la cabosser de toute sa hargne avant de poser sans ménagement pour Bernardoni.

Si vous étiez vous-même, non pas un humain sur deux pattes, mais un « Black Mane », un rare lion à crinière noire (Tsavo-1988), mieux vaudrait pour vous être saisi par l’objectif de Bernardoni que foudroyé par le calibre d’un chasseur de trophée, type Hemingway, espèce en voie de disparition, précisément pour avoir, depuis deux siècles,  participé à la disparition de tant d’espèces en voie de disparition.

Si, un jour, au hasard de vos pas, dans une réserve africaine d’aujourd’hui, vous tombez sur  un « Reject Simba », évitez-le. Simba, lion en swahili, Reject, éjecté en anglais, soit chassé par les lions adultes qui privatisent les femelles au détriment des jeunes, avant, le temps passant, d’être à leur tour définitivement virés. En attendant, les jeunes, rejected, affamés de femelles, en veulent à la terre entière.

Nous voici maintenant devant la photo de  « Lion, the Sealous, 1989 ». Le voyageur-photographe, après huit à neuf heures de marche, accompagné ce jour-là d’un tracker, tombe  sur un lion, un simba allongé, apparemment endormi. « Il est mort », s’exclame, sûr de lui, le tracker, et, pour prouver ce qu’il vient de dire, il balance un coup de pied aux fesses du roi des animaux. Pas mort du tout, mais à-demi endormi, le roi adresse à l’objectif de Bernardoni un regard familier et tolérant.

Sans aucun doute, ce Sealous connaissait-il la très ancienne légende qui court au vent des pays sauvages, à propos du surnom protecteur du voyageur Alberto Bernardoni : « Pussi », (connu jusque parmi les hardes de marsupiaux), lui valant passe-droit sur les étendues sans fin de l’Eden.

Bernard Chapuis


Alberto Bernardoni (photographies d’Afrique)

« Les rivières et les sources étaient consacrées et les montagnes effleuraient les dieux. Si bien que la nature, les animaux et l’homme, issus d’une même énergie créative, se fondaient dans l’épiphanie d’une même réalité. Une telle intelligence du monde affirme : l’homme et l’animal sont proches. » Emma Nilsson, « Les regards se croisent » 2021

Ces propos soulignent les images d’Alberto Bernardoni, capturées au cours de ses nombreux voyages, étalés sur l’arc d’une trentaine d’années depuis 1969, pendant lesquels il a parcouru, souvent aventureusement, une grande partie de l’Afrique.

Dans ses images en N/B Bernardoni recherche l’empathie et le dialogue primordial entre espèces de même dignité; parfois les animaux le regardent avec un calme serein, souvent on pourrait imaginer qu’ils se mettent en pose, lui se sent leur invité et avec le temps il devine leurs coutumes, voire leurs codes immanents.

Pendant qu’autour de lui le continent et son environnement se dégradent, retentissent les mots de James Hillman “ l’animal comme théophanie, le récit comme mystère ”. Soutenu par la corruption déferlante, plane le ravage écologique. Non plus les minières du Roi Salomon mais la chasse au silicium, au cérium, au béryllium et la carbonite. L’Afrique est sacrifiée aux semi-conducteurs. L’Eden ferme ses portes.

« Chimpanzés, gorilles et orang outans ont vécu dans la forêt pendant des centaines de milliers d’années, sans jamais surpeupler ou détruire l’habitat. Je dirais qu’à leur manière ils ont eu plus de succès que nous en vivant en harmonie avec leur environnement. » Dame Jane Goodall,

Biographie :

Alberto Bernardoni est né à Lugano en 1941. Il associe son activité professionnelle avec ses goûts littéraire et artistiques et se passionne pour la photographie.

1969 marque son premier grand périple africain, 15000 km de la Suisse à Tombouctou et retour, avec son ami Bruno Martignoni, le légendaire vainqueur de deux éditions du mythique Rallye Alger-Le Cap. Ensemble, ils traversent le Sahara – alors complètement dépourvus de pistes dures – puis atteignent Agadès, Niamey, Gao et Tombouctou avant de traverser à nouveau le désert sur la piste de Tanezrouf et d’atterrir au Maroc, prélude au retour en Europe.

Par cette aventure, il succombe au Mal d’Afrique et de nombreux voyages suivent, toujours sur des pistes isolées, seul ou avec sa première femme.

Au fil du temps, il cultive plusieurs amitiés et relations. À Kapani, il rencontre Kenneth Kaunda, le leader humaniste africain, qui restera toujours son mentor. À Nairobi, il se lie d’amitié avec Peter Beard, qu’il accueille à plusieurs reprises en France et en Suisse.

Pour les images de « In Eden », son regard est influencé par les essais de James Hillman.